Les francs-tireurs du cinéma underground en France
MERCREDI 25 FÉVRIER 2009 / 20H30
Dans le cadre de l'exposition "IAO - Explorations psychédéliques en France"
AUDITORIUM DU CAPC
Musée d'art contemporain de Bordeaux
7 rue Ferrère 33000 Bordeaux
entrée : 3 euros avec une portion de camembert électrique et un verre offerts
Invité spécial : Jean-Pierre Bouyxou
Érudit des Mauvais Genres littéraires et cinématographiques (on connait sa voix dans l'émission du même nom animée par François Angelier le samedi soir sur France-Culture), fin limier du cinéma populaire du B au Z en passant par le X, promoteur pionnier du cinéma underground en France via le festival Sigma de Bordeaux aux côtés de Philipe Bordier, puis instigateur d'improbables rétrospectives (Andy Mulligan récemment à la Cinémathèque Française; mais qui se souvient de la remise de la palme de caoutchouc au festival du nanard lors de Sigma 23 en 1987 ?), organisateur, toujours à Bordeaux en 1966, de la première expo des photos de Pierre Molinier dont il fut l'ami, co-fondateur de l'Internationale Patissière avec Noël Godin et entarteur notoire, collaborateur à Siné-Hebdo, cinéaste, acteur, écrivain (il a signé avec Pierre Delannoy L'aventure Hippie, aux éditions du Lézard)... Bref Jean-Pierre Bouyxou est à la fois un passeur, une figure héroïque de la contestation et un empécheur de tourner en rond. Il est notre invité très spécial, l'homme de la situation pour évoquer avec nous une période qu'il a vécue de l'intérieur et les artistes-cinéastes qui furent ses amis.
"Éphémère et flamboyant, directement lié à la révolution psychédélique et à la génération hippie, le cinéma underground français (ou, comme on aimait dire à l'époque, cinéma "souterrain") a surgi dans l'effervescence contre-culturelle qui annonçait et préparait les chamboulements de Mai 68. Cinoche de protestation, de contestation, de provocation, de refus. Agit-Prop et poésie brute. C'était aux heures ludiques des happenings et des détournements situationnistes. Ce que nous voulions, c'était abolir la frontière entre l'art et la vie. Tous cinéastes ! Il s'agissait de faire des films en toute indépendance, en toute liberté. Sans critères esthétiques figés, sans tabous moraux, sans visées commerciales." Jean-Pierre Bouyxou, Métro (sans Goldwyn ni Mayer) pour l'underground, in Jeune, dure et pure ! Une histoire du cinéma d'avant-garde et expérimental en France (Cinémathèque Française - Mazzotta, 2001)
Programme :
MAIN LINE
Michel Bulteau (1971 / 16mm / n&b / 12 min)
Musique de Mahogany Brain, extraite de l'album Smooth Sick Lights (Pôle, 1972)
En 1971, Michel Bulteau publie à 22 ans, avec Matthieu Messagier, Jean-Jacques Faussot, Jacques Ferry, Patrick Geoffrois, Zeno Bianu et quelques autres, le Manifeste Électrique Aux Paupières De Jupes, dernier manifeste collectif qui soit venu, avant le Manifeste froid, déranger la tranquillité du milieu littéraire. Le deuxième court métrage réalisé par le jeune poète évoque le rêve de l'aiguille de Slit, féerie publié dans Parvis à l'écho des cils (Jean-Jacques Pauvert, 1972), ces fragments écarquillés d'images-panique à l'orée du shoot : (...) Je fixe l'aiguille, et étalant mes yeux sur le verre blanchâtre. Je fais tourner ma langue comme un manège dans la seringue lumineuse. Mes veines percées éclatent lorsque l'aiguille aère leur haleine. (Le sang étire la douleur comme un néon dans le ciel glacial, et la pluie de l'aiguille embrume la fourrure du vent.) L'aiguille tirant sa langue de fée. Écarlate celui de la veine en un angle heurté... je contourne mes veines. L'aiguille de sa langue comme un gant de glace étire le réseau de la veine. L'aiguille hermaphrodite. La veine goûte l'haleine feutrée de l'aiguille, les autres veines s'endorment. Sous la langue de la veine... la veine au rêve intérieur de l'aiguille, et l'aiguille retire sa tristesse. (...)
«Les reflets de la chair dans Main Line me font songer à des méduses qui se meuvent ensemble.» (Henri Michaux)
«From Main Line to Asnaviram, the poet Michel Bulteau has discovered the Buddha nature of drugs.» (Allen Ginsberg)
à lire, un article bien enlevé sur Michel Bulteau : http://www.gonzai.com/michel-bulteaunew-york-est-une-fete/
CINÉMA CINÉMA
Jean-Pierre Lajournade (1969 / 35mm transféré en vidéo / n&b / 14 min)
Avec Jean-Pierre Lajournade, Fiammetta Ortega, Tobias Engel. Production : Pierre Braunberger (Films de la Pléiade)
Les déboires d'un metteur en scène aux prises avec le conformisme du public et les exigences des révolutionnaires... Par un réalisateur disparu à 36 ans et encore étrangement méconnu, malgré deux longs métrages marquants pour le cinéma, plusieurs courts métrages dont l'un fut longtemps interdit par la Commission de Contrôle de Censure (pour "toxicité mentale"!), et plusieurs films de fiction réalisés pour la télévision française mais jamais diffusés sur antenne.
"Jean-Pierre Lajournade reste attaché à ce courant parfois appelé "a-cinéma" qui a ouvert une brêche non négligeable dans la conception tant esthétique que financière du jeune cinéma français à la fin des années 60. Comme les œuvres des autrs représentants de cette tendance (qui n'ont jamais formé une école) : Patrick Deval, Jackie Raynal, Michel Baulez, Serge Bard, etc..., les films de Lajournade se caractérisent apr un relâchement presque total des structures narratives et par un refus systématique de cautionner une quelconque continuité dramatique. (...) Ses œuvres, à travers le bouleversement syntaxique qu'elles opèrent au niveau de la représentation cinématographique, ont permis la production d'options nouvelles, tant pratiques que théoriques, sur la forme filmique. Lajournade s'est toujours méfié de l'esthétisme, du plaisir éventuel que ses films pouvaient procurer, s'évertuant à en dénaturer les moindres prémices : ceci explique que son travail demeure encore aujourd'hui d'un abord très ardu et que peu de gens le connaissent." Raphaël Bassan, in Écran n° 55, février 1977
A lire également : Une longue interview, publiée auparavant dans la revue Cinéthique en avril 1969, de Jean-Pierre Lajournade, qui constitue la dernière partie du livre de David Faroult et Gérard Leblanc, Mai 68 ou le cinéma en suspens, Editions Syllepse, collection Résistances, 1998.
E-30 (1ère partie)
Alain Montesse (1968 / 8mm transféré en vidéo / n&b / 7 min)
Tourné au printemps 68 durant la braderie de Bordeaux, juste avant le mois de mai, une tentative d'illustrer le Summer in the City des Lovin' Spoonful qui finit en hachis sonore dans une déferlante d'images urbaines.
http://alain.montesse.site.voila.fr/
CHROMO SUD
Etienne O'Leary (1968 / 16mm transféré en vidéo / couleur / 21 minutes)
Jean-Pierre Bouyxou dans Chromo Sud "En 1965, j'ai rencontré deux mecs qui eux aussi avaient les cheveux longs, tiraient sur des joints et faisaient des films, sans producteurs, du cinoche underground, là, à Paris… et donnaient envie de faire du cinéma underground. Je crevais d'envie de faire des films. C'était Etienne O'Leary, un Québécois, et Francis Conrad, un Américain qui est reparti tout de suite aux Etats-Unis. Etienne O'Leary est devenu un ami. Il était également copain avec Marc'O, Kalfon, Clémenti et Lebel. Les films d'Etienne O'Leary étaient projetés sur le chapiteau où était représentée la pièce Le Désir attrapé par la queue de Picasso, mise en scène par Jean-Jacques Lebel, avec la strip-teaseuse Rita Renoir, Taylor Mead, Ultra Violet et les Soft Machine. Lebel m'avait proposé d'être son assistant mais je n'ai malheureusement pas participé à l'aventure. On en voit des petits bouts dans Chromo Sud de O'Leary, un film auquel j'ai participé et qui se termine par quelques-unes des rarissimes images des barricades en couleur. Il y a très peu d'images en couleur de Mai 68." Entretien avec Jean-Pierre Bouyxou (Janvier 2001)
http://www.chronicart.com/webmag/article.php?id=858
LE SEXE ENRAGÉ
Roland Lethem (Belgique / 1969 / 16mm / n&b + couleur / 21 minutes)
Avec To Katinaki, Noel Godin, Jean-Pierre Bouyxou, Roger Clermont, Raphaël Marongiu.
« Le bourgeois n’est pas un homme, c’est tout au plus une souris blanche » (Mao Tse Toung).
« Lethem est, de loin, le moins conventionnel des cinéastes belges. Il conjugue magnifiquement l'abstraction et le désir, l'humour et la provocation, le fantastique et l'anarchisme. » (Jean-Pierre Bouyxou).
Prix du “One Night Stand Award” au first Wet Dream Film Festival d’Amsterdam, 1970 Invité à la Biennale underground de Venise 1971
Invité au Festival Underground de Londres 1971
VISA DE CENSURE N°X
Pierre Clémenti (1967-75 / 16mm transfére en vidéo / couleur / 43 min)
Musique : Delired Cameleon Family
Un des fleurons du cinéma psychédélique français, véritable déluge de sons, d'images et de couleurs.
"Rencontre de l'image et des pulsions psychédéliques de cette époque acidulée... Désir de retrouver le chant des origines, images qui s'inscrivent jusqu'à nous comme un double et qui nous font signe. A tâtons, à tatoum... dans la chambre noire aux idées multinationales, je frémis et je balbutie. Cinéma du dedans et du dehors, du derrière et du dedans... Face au miroir magique aux multiples visions, je retrouve le fil de ma mémoire et entrouve en un instant l'album de famille, de naissance et de mort. Devant ce déferlement d'impressions multicolores, dessins animés, réanimés par la passion et l'amour de l'Homme à la valise en carton, j'agitais mes énormes ciseaux et taillais et retaillais tel un sculpteur inspiré devant sa première œuvre. Cascades d'images emergées du creuset de l'âge l'instant où tout chavire, salle de montage de bateau ivre... Nouveaux signes inscrits à même la chair de la pellicule. La jeunesse de ce film (1967) fut les émotions, les événements, les réfléxions, le déroulement du temps... pour le montage, une sélection de scènes sur plusieurs années, comme le vieux vin, fragmenté de nouvelles inventions, de découvertes, de rythmes nouveaux donna à ce premier film toute l'innocence et la joie de redécouvrir intact le mystère du cinématographe." Pierre Clémenti Nice, 4 avril 1999 (in Jeune, dure et pure ! Une histoire du cinéma d'avant-garde et expérimental en France, Cinémathèque Française - Mazzotta, 2001)
Remerciements : cette séance est rendue possible grâce à la contribution appréciée de Light Cone, Les Films de la Pléiade, Alain Montesse, Balthazar Clémenti, Denis O'Leary, PBCpictures.